Comment lire la Torah ? Toute lecture fondamentaliste d'un livre saint met en péril la liberté, en le figeant dans une vérité immuable. Toute lecture historique et critique comprend ce livre en fonction de son contexte historique d'écriture, mais en omettant la question du sens de ce livre pour les lecteurs d'aujourd'hui. Le présent ouvrage montre comment une lecture spirituelle selon la tradition juive permet de sortir de cette impasse : la langue des textes étudiés porte des significations à déployer dans le temps, grâce à leurs innombrables lecteurs ; elle ne sépare jamais la quête de la vérité d'un travail exigeant sur soi-même. Dès lors, lire la Torah, c'est aussi voyager dans l'histoire, avec d'autres hommes et femmes. La Torah parle bien de notre présent, et ne donne pas de solutions.
La Genèse décrit l'humain comme crée à l'image et à la ressemblance du Créateur sans expliquer ces vocables, sauf pour dire qu'ils impliquent de ne pas faire couler le sang. Comment les personnages de ce récit en découvrent-ils la trace en eux-mêmes et en autrui ? Ou, au contraire, pourquoi la négligent-ils au point de l'oublier ? Pourquoi enfin une tentation majeure s'impose-t-elle très vite de croire que cette image doive suivre un régime contrasté pour l'homme et pour la femme, au point de méconnaître qu'elle excède toujours la visibilité des différences entre les personnes ? Pourtant, malgré l'histoire tourmentée que raconte la Genèse, histoire qui est aussi la nôtre, le Créateur ne revient jamais sur le don qu'Il a fait de Son image. En dialogue avec plusieurs commentaires de la tradition hébraïque, surtout hassidique, ce livre explore ces questions en montrant qu'elles nous habitent toujours et que les personnages de la Genèse sont révélateurs de notre humanité.
Israël a eu aussi ses mères.
S'il est vrai que le dogme n'inspira pas la vie des patriarches du livre de la Genèse, si, bien au contraire, c'est leur vie qui fonde la religion biblique, il semble légitime de leur associer leurs femmes, celles que la tradition nomme « matriarches ». Les quatre « mères d'Israël », nommées « encens » par Rachi tant leur existence fut précieuse, jouent, en effet, un rôle crucial dans l'économie de la geste de l'élection : elles veillent à son accomplissement et, surtout, donnent à penser son sens par leur vie, leurs choix et leurs engagements. Il s'agit donc de montrer quelle idée de la femme, de la mère et du couple se fait jour dans ce texte, mais aussi de réfléchir à la progressive émergence de ce sens. De comprendre comment et pourquoi ces femmes, marquées par le Bien et ses commandements, furent élues pour porter la haute responsabilité de l'Alliance ; de justifier, enfin, à partir d'elles, l'idée que l'éthique est l'élément même où la transcendance religieuse reçoit son sens premier et ultime.
Notre existence n'est elle qu'une petite lumière au coeur de l'obscurité ? Il ne va pas de soi de penser que l'enfant - et tout être humain donc - vienne du néant, du rien. Socrate enseigne que la vérité est déjà en lui. Les sages du Talmud font baigner l'enfant à naître dans la lumière originelle. Pour ces pensées, pourtant très différentes, l'âme humaine est irréductible à un pur effet de la matérialité. L'autre pôle de notre finitude - la mort - a bien davantage été pensée par les philosophes et les théologiens. Vie et mort ne sont pas deux contraires, mais deux forces, l'une de création et l'autre de décréation, elles concernent tous les champs de l'existence. Dans ce texte de réflexion puissant et lumineux, Catherine Chalier invite à penser la mort autrement. Pas seulement en constatant les effractions du mal, de la souffrance ; pas seulement non plus donc en méditant sur notre destinée ultime, que ce soit avec mélancolie, sagesse, voire espérance, mais plus simplement, de façon plus grave, en faisant en sorte que la pensée de la mort insuffle en nous une nouvelle urgence dans notre amour de la vie.
Comme le Baal Chem Tov, fondateur du hassidisme, un siècle avant lui, Rabbi Leiner cherche à penser comment l'âme humaine peut parvenir à se réconcilier avec sa source divine. C'est pour lui l'essentiel face à la violence qui prévaut en ce monde.
Son livre, dont certains jugèrent les audaces hérétiques, est le premier livre hassidique publié sans les approbations traditionnelles. De quel ordre est la rivalité entre les deux fils de Jacob, Juda et Joseph ?
Juda, porte une pure grâce à la « racine de sa vie » : il reçoit la révélation de toujours « regarder vers l'Éternel ». Joseph, atteste au contraire de la primauté absolue de la Loi (halakha). Comme Juda, R. Leiner propose une approche individualiste de la spiritualité.
Selon lui, Dieu reste absent pour la plupart des humains, qui ne sont jamais directement éclairés par Lui ; mais il est présent aussi, car la Torah et les rites restent un guide sûr pour vivre en ce monde-ci sans avoir à faire des choix. Ne plus ressentir le besoin de la Loi ne dispense donc pas de la nécessité de lui rester fidèle. Le risque est de se faire des illusions sur l'illumination dont on jouit.
L'assassinat de Rabbi Mordechai Joseph Eleazar de Radzyn, dernier descendant de Rabbi Leiner, bouleversa les juifs du Ghetto de Varsovie. R. Leiner n'a jamais soutenu que la malignité humaine est voulue par Dieu. Il enseigne qu'unir sa volonté propre à la Sienne et pressentir sa puissance au plus secret de soi constitue la voie d'une libération de ses illusions sur Lui, sur soi et sur le monde. C'est t(rès différent.
Remercier et rendre grâce, en pensée, en parole et en acte, est souvent difficile. Notamment pour ceux que le malheur personnel épargne ou au contraire pour ceux qui sont trop éprouvés. Comment donc une vie à première vue condamnée à ignorer ce sentiment de gratitude peut-elle donc le découvrir, soudain ou peu à peu ? La crise sanitaire mondiale du printemps 2020 peut-elle jouer un rôle dans cette découverte ? Comment penser que la gratitude reste si souvent un tourment ?
Pourquoi certaines personnes estiment-elles que celui qui remercie atteste son infériorité, par rapport à celui qu'il remercie ? Probablement parce que remercier place dans une position où les êtres humains affrontent une asymétrie entre eux. Reconnaître cette asymétrie, la voir comme une fragilité, mais aussi une richesse, voilà le chemin philosophique et spirituel que propose dans ce beau texte la philosophe Catherine Chalier.
L'inflation actuelle des images risque de faire oublier une question essentielle : d'où vient la force des images si elle est irréductible aux commentaires qu'elles suscitent ? Comment comprendre qu'on se batte pour des images ou qu'on veuille les détruire ? Ce livre interroge l'interdit biblique de la représentation et montre qu'il porte sur les représentations du visible en tant qu'elles bouchent l'accès à l'invisible dont toutes les créatures vivent et, par là, à la liberté.
Philosophe attentive à la source hébraïque de notre culture, Catherine Chalier s'intéresse ici à un thème négligé en philosophie : les larmes. Les pleurs de Jacob, d'Esaü ou de Joseph, ceux des prophètes ou du psalmiste incitent à réfléchir à toute une gamme d'émotions. Mais la question essentielle qu'ils soulèvent est celle de la nature de l'homme, porteur de l'image de Dieu, et dont on peut se demander quelle fragilité constitutive le rend capable de pleurer. Plus profondément encore, la tradition orale du judaïsme (Talmud et Midrach) n'hésite pas à évoquer les larmes de Dieu. Sur qui et sur quoi l'Eternel pleure-t-il ? Que nous disent ses larmes de sa relation aux hommes ? Catherine Chalier, en analysant les réponses multiples de la tradition hébraïque, montre comment elles relèvent d'une pensée sans cesse tournée vers la vie partagée.
- Comment pourrait-on venir à Dieu par ses propres forces s'il n'avait avec l'homme un lien ineffaçable, fût-il fragile et oublié ? Depuis l'Antiquité grecque et biblique, philosophes et spirituels ont médité cette interrogation pour penser la conversion. Au coeur de l'histoire tragique du XXe siècle, malgré l'impuissance du Dieu biblique à se manifester par des signes secourables, les penseurs étudiés dans ce livre ont continué de veiller sur ce lien. Se convertir, ce fut en effet pour eux résister à la fatalité du mal, à l'absurdité et à la défaite humaine. Que leur itinéraire soit essentiellement philosophique avant de s'ouvrir à la mystique (Henri Bergson), qu'il s'accompagne d'une méditation ininterrompue des livres juifs (Franz Rosenzweig) et chrétiens (Simone Weil, Thomas Merton) ou des deux (Etty Hillesum), ils ou elles discernent ainsi, peu à peu, comment le plus profond - l'âme ou le soi humain - est habité par le plus haut. Venir à Dieu serait donc bien revenir à Lui dont l'appel en chacun reste vivant, même quand il reste longtemps en souffrance. Dans l'optique biblique toutefois, ce revenir ne ressemble pas au retour philosophique de l'âme vers une patrie perdue : il se produit comme un advenir et une promesse.
- Catherine Chalier est philosophe, spécialiste du judaïsme. Elle a notamment publié : Traité des larmes (Albin Michel, 2006), Des anges et des hommes (Albin Michel, 2007), et La Nuit, le jour au diapason de la création (Seuil, 2009) qui a obtenu le prix des Ecrivains croyants.
Après Les Lettres de la création (2006), les Éditions Arfuyen ont commencé de travailler avec Catherine Chalier à une suite d'ouvrages consacrée aux grandes figures du hassidisme. Le projet de cette série est de donner à lire pour la première fois les textes les plus substantiels de ces auteurs, et non pas seulement leurs anecdotes ou bons mots.
Après Kalonymus Shapiro, rabbin au Ghetto de Varsovie (2011), Aux sources du hassidisme, le Maggid de Mezeritch (2014) et Le Rabbi de Kotzk , un hassidisme tragique (2018), le présent volume est le 4 e de la série.
Publiés de façon posthume, les 5 volumes du Chem miChmuel sont rapidement devenus des livres fondamentaux du hassidisme polonais.
R. Chmuel Bornstein a une conscience aiguë des ravages du désespoir qui guette les créatures, même les plus dévouées à Dieu et aux êtres humains. Pour lui le Chabbat est une réponse à ce tourment. Là où chaque créature se sent pleine d'elle-même, le Chabbat oblige l'homme à une pause bienfaisante qui arrête l'avidité d'être et creuse en chacun un espace qui lui permet donc de devenir un réceptacle de cette lumière et de ce souffle. C'est pourquoi le Chabbat est décrit comme « saint », c'est-à-dire séparé du temps ordinaire où l'impatience - d'être et de faire - ne cesse de revendiquer ses droits.
« Si la femme a été exclue de la philosophie par l'indécidable neutralité du sujet qui s'y faisait entendre, par la constante pensée de la différence sur le mode de l'opposition et de la symétrie qui la voue à l'effacement, par la production de définitions à recevoir, il faut lire qui ne se réclame pas de cela. La considération inactuelle - c'est-à-dire autre qu'actuelle - de Levinas se propose. Le sujet philosophique de ces textes est revendiqué en effet comme rebelle à toute neutralité et il s'essaie à une pensée de la différence, non sur le mode de la logique formelle ou dialectique, mais sur celui d'une ineffaçable asymétrie. Levinas parle d'une surenchère qui toujours déjà excède l'ordre logique et l'être qu'il arrive à épouser. Cette démesure, celle de l'Autre, convoque à la déconstruction du propre et à la libération d'un espace de transcendance qu'il nomme "métaphysique". C'est là qu'il conviendra d'entendre "les figures du féminin". » C.C.
Selon certains philosophes, espérer serait au mieux une consolation, et il conviendrait de l'abandonner au profit d'une sérénité plus forte que les malheurs. Mais dénoncer la vanité de tout espoir est-il si sage ? Comment comprendre que, même dans des situations terribles, l'espoir déserte rarement tout à fait le coeur humain ? Pourquoi cette insistance de l'espoir à surprendre jusqu'aux partisans d'une lucidité qui le récuse ?
Espérer, c'est discerner au coeur du tragique et de la tentation du désespoir, ce qui peut nous y soustraire. C'est aussi résister à la pensée que la nécessité régit ce qui advient. L'espoir n'est ni une compensation ni une consolation. Plus profondément, il espère une réparation du présent. Surtout, il atteste surtout une ouverture de la finitude humaine sur ce qui l'excède. Espérer, c'est s'avancer vers ce qu'on ne voit pas et ce qu'on ne prévoit pas mais qui, déjà, nous affecte. Dans le cadre biblique, l'espoir se fonde sur une promesse qui ne concerne pas uniquement l'avenir humain et le sens de l'histoire. Il ouvre une perspective eschatologique relative à un monde qu'aucun oeil n'a vu. La question " as-tu espéré ? " nous sera d'ailleurs posée après notre mort, selon le Talmud. Espérer apparaît alors comme une vertu des plus exigeantes.
On croit connaître le hassidisme sur la base de l'énorme anthologie allemande de Martin Buber (1949, traduite en 1980, sous le titre Les Récits hassidiques, 744 pages). On le croit d'autant plus que de nombreux ouvrages s'y réfèrent également : comme La Voie du hassidisme (1963) d'Arnold Mandel ou les fameuses Célébrations hassidiques (1972 et 1981) d'Elie Wiesel. Pourtant il n'est que de lire l'anthologie de Buber pour s'apercevoir qu'il s'agit ici davantage de "fioretti" du hassidisme, d'une saveur merveilleusement chagallienne, plutôt que d'une présentation de la philosophie de ses grands penseurs.
Ces pittoresques Rebbe de village qu'on nous dépeint, qui pourrait penser qu'ils ont laissé des textes d'une audace théologique et philosophiques tout eckhartienne ? Et c'est d'ailleurs du fait de leur difficulté que ces textes puissants demeurent aujourd'hui encore inédits en français. C'est dans ce travail passionnant que s'est lancée Catherine Chalier. Avec elle écoutons le Maggid : "L'homme doit se penser comme un Néant et oublier complètement son essence propre.
Dans chacune de ses prières, il doit s'enquérir de la Présence (Chekhina) et parvenir ainsi à s'élever au-dessus du temps, c'est-à-dire atteindre le monde de la pensée, car là tout est égal, la vie et la mort, la mer et la terre". La création du ciel et de la terre, ainsi que de tous les êtres différenciés qui la peuplent, a consisté à faire apparaître l'être à partir du Néant. Il s'agit maintenant de revenir au Néant, car le danger propre à la création vient de ce qu'il tend à oublier sa propre source.
C'est pourquoi le rôle du Juste, le Tsaddiq, est faire passer l'être au Néant. Mais non pas pour s'y perdre : bien au contraire, celui qui s'unit au Néant divin - pour un bref instant - y trouve force pour agir en ce monde-ci et pour y répandre un peu de clarté.
Après Les Lettres de la création (2006), les Éditions Arfuyen ont commencé de travailler avec Catherine Chalier dans la collection « Les Carnets spirituels » à une suite d'ouvrages consacrée aux grandes figures du hassidisme. Car si l'on pense, depuis les livres de Martin Buber et d'Élie Wiesel, bien connaître les auteurs hassidiques, on n'en a en réalité qu'une vue générale et déformante, très marquée par le pittoresque et le folklore.
Le projet de cette série sur le hassidisme est de donner à lire pour la première fois les textes les plus substantiels de ses grands auteurs, et non pas seulement leurs anecdotes ou bons mots. Deux ouvrages ont paru à ce jour : Kalonymus Shapiro, rabbin au Ghetto de Varsovie (2011) et Aux sources du hassidisme, le Maggid de Mezeritch (2014).
Le 3 e ouvrage de cette série est consacré à une figure majeure du hassidisme, le rabbi de Kotzk.
Comment vivre l'amour de Dieu de façon absolument désintéressée et dans une lucidité qui éclaire tous les replis cachés de soi ? Pour le rabbi de Kotzk, l'homme doit avancer « un pied dans le ciel, un pied sur la terre » en se sachant « entouré par l'abîme ». Sa pensée forte et exigeante s'exprime dans de nombreux aphorismes brillants et pessimistes, tels que celui-ci : « Pour sauver Sodome, il fallait dix justes ; pour renverser le monde et tout ce qui s'y trouve, il suffit d'un seul idiot. »
Catherine Chalier est professeur émérite de philosophie de l'université Paris Ouest Nanterre La Défense. Auteure d'une oeuvre très importante, Catherine Chalier est spécialiste de la pensée d'Emmanuel Lévinas. Elle est aussi traductrice de l'hébreu.
Catherine Chalier donne ici en français la première présentation de la personnalité et l'oeuvre de Rabbi Kalonymus Shapiro (1889-1943), cette haute figure du hassidisme et de la résistance spirituelle à la Shoah. Kalonymus Shapiro fut rabbin au ghetto de Varsovie et l'on a retrouvé, conservés dans la terre, les textes écrits pour essayer de trouver un sens face à cette inconcevable épreuve. Les éditions originales des textes de Rabbi Kalonymus Shapiro ont paru en hébreu, depuis Ech Qodech (Le Feu saint), en 1960, à Bnéi Machavah Tova (Enfants d'une pensée bonne), en1989. Plusieurs traductions ont paru en langue anglaise. Le livre se compose d'un essai sur la vie et la pensée de Kalonymus Shapiro suivi d'un choix de textes extraits de Derekh Melekh (Le chemin du Roi) et de Ech Qodech (Le Feu saint) et spécialement traduits pour cette édition par Catherine Chalier.
Témoin de l'emprise ténébreuse des idéologies qui ont présidé à tant de tragédies de ce siècle, Emmanuel Lévinas appelle à un éveil et à un dégrisement éthiques indissociables de la tâche de penser la priorité de l'autre. Pour lui, la philosophie ne peut trouver le chemin de cette orientation ultime sans se rendre attentive à la source hébraïque de la pensée. Une tension entre le mode grec de réflexion et la fidélité à la voix des prophètes anime donc son oeuvre. Ce livre montre comment elle autorise un bouleversement des concepts destinés à dire l'humain autrement.
Tandis que la philosophie occidentale privilégie le sens de la vue, la tradition hébraïque, dit-on, valorise plutôt l'écoute : lorsque les hommes sont attentifs à l'appel de Dieu, ils doivent en effet renoncer à Le voir et à Le représenter. Pourtant, cette idée d'un partage des sens entre Athènes et Jérusalem, entre le regard et l'écoute, s'avère contestable. Prenant le contrepied de ce lieu commun, Catherine Chalier montre comment se dessine dans la Bible la nécessité de voir pour entendre et d'entendre pour voir - car seule la voix lovée au coeur du visible le rend perceptible dans sa pleine vérité.
Une telle intrication entre le regard et l'écoute nous permet d'approcher la connivence profonde, dans la tradition hébraïque, entre le sensible et le spirituel. Éprouver cette relation au vif de sa chair, c'est s'éveiller à une vie des sens animée par la proximité de l'invisible Voix créatrice. Lorsque la déchirure entre les sens et l'esprit se trouve ainsi dépassée, l'homme est amené à découvrir l'unité cachée à l'oeuvre dans toute réalité, et à s'orienter vers cette Altérité indicible.
Catherine Chalier, agrégée et docteur d'État en philosophie, a publié plusieurs ouvrages explorant les liens entre la tradition hébraïque et la philosophie contemporaine. Elle est l'auteur, chez Albin Michel, de Lévinas, l'utopie de l'humain (collection Présences du judaïsme).
Au-delà de l'événement historique, que vient nous enseiner la Sortie d'Égypte sur notre capacité à nous libérer de tous les esclavages, matériels et spirituels ? Dans le premier commandement, la révélation divine est intimement liée à cette sortie d'exil : « Je suis L'Éternel ton Dieu qui t'ai fait sortir de la terre d'Égypte, de la maison des esclaves. » Cette délivrance est au coeur de l'expérience religieuse juive, qui commande d'en rappeler quotidiennement le souvenir et d'en faire le récit détaillé lors de la fête de Pessah (Pâque). Le hassidisme, mouvement mystique apparu au XVIIIe siècle, réinterprète la tradition juive d'un point de vue existentiel. Le rabbi de Gur, dans son commentaire classique de la Torah La Langue de la vérité (Sfat Emet), puise dans le Talmud, le Midrach et la Cabale les éléments d'une théologie de la libération juive. Catherine Chalier, philosophe spécialiste de la pensée hébraïque, en a sélectionné les passages relatifs à Pessah et propose à leur suite une analyse de la pensée du rabbi de Gur. La Langue de la vérité nous invite à quitter l'exil spirituel pour nous rapprocher du centre intime de notre âme, lieu de notre vraie liberté.
Explorant la source hébraïque de la pensée occidentale, ce livre renoue avec l'idée de la philosophie comme exercice spirituel. Le dilemme du philosophe ne tient pas dans l'opposition du rationnel à l'irrationnel. Il réside dans l'affrontement entre une raison résolument fermée à l'altérité, rebelle à l'excès de la Parole, et une raison qui, éloignée des séductions de l'irrationnel, consent à écouter cette Parole. Aussi est-ce en acceptant, au vif de son propos, d'être marquée par son autre que la philosophie mérite son nom d'amour de la sagesse.Catherine Chalier a déjà publié aux Editions Albin Michel Lévinas, l'utopie de l'humain et Sagesse des sens.
La vision d'un judaïsme privé de toute ouverture sur l'amour, celui de Dieu comme du prochain, doit être remise en cause. Issue du christianisme, sa postérité a été longue, y compris chez les philosophes, et elle demeure un préjugé chez nombre de personnes souvent déchristianisées.
Sur la base de textes écrits par des philosophes ou des spirituels (surtout hassidiques) juifs, cet ouvrage analyse la façon dont une pensée très profonde relative à cet amour anime depuis toujours le judaïsme, sans minimiser sa complexité et ses difficultés. Comment interpréter les passages bibliques qui parlent de la crainte de Dieu ? Comment conjuguer l'importance de la Loi et des préceptes avec cet amour ? Comment penser ensemble amour de Dieu et amour du prochain ? Ou encore comment percevoir l'amour de Dieu dans un monde qui semble déserté par Lui ? Comment relier l'amour lié au désir et au manque ( éros ) à l'amour qui donne ( agapè ou hesed ) ? Cet amour va-t-il jusqu'à la mort ? La gravité - le poids, le centre - de l'amour dépend des réponses à ces questions.
Par quel passé sommes-nous habités, voire hantés ? Pouvons-nous nous en détacher, l'oublier, tourner la page, ou sommes-nous voués à raviver sans cesse le souvenir des souffrances ? N'y aurait-il pas une autre voie possible, celle d'une conscience de ce qui est advenu permettant de résister de façon créative au mal ? Le pardon suffirait-il ? Mais à quelle condition ? Une « réparation » des traumatismes n'est-elle pas nécessaire ?
C'est à ces questions qui surgissent, encore aujourd'hui, du tragique de nos histoires personnelles et collectives, que se confronte Catherine Chalier, à partir des textes bibliques et de la tradition juive de leur interprétation, mais aussi en interrogeant quelques grandes figures de la philosophie contemporaine : Levinas, Ricoeur, Derrida, Jankélévitch. Pour esquisser un chemin de libération...
Comment penser la Promesse faite par Dieu à Abraham qu'il deviendrait une « grande nation », source de « bénédictions pour toutes les familles de la terre » (Gn 12,2), au coeur d'une histoire où seule compte la lutte pour la puissance et la reconnaissance ? L'Exil durable d'Israël signifie, pour beaucoup, une épreuve de patience et un retrait de l'histoire jusqu'au retour à Sion qui attestera la pérennité de la Promesse. Pourtant l'histoire promise à Israël ne doit-elle pas se penser autrement ? Comme une veille sur l'impératif de sainteté qui juge les conquêtes de l'histoire profane, dans une lecture interrompue du Livre. Mais la sainteté doit-elle alors se passer de gloire et risquer, à chaque instant, la passion ? Et comment espérer une rédemption vouée à réparer la chaîne des générations en ses maillons brisés par une histoire sans sainteté ? Une eschatologie pensée comme intrusion de l'éternité dans l'histoire, dès maintenant, suffit-elle à la transfiguration du devenir et à la venue du visage humain ?
La fragilité de l'alliance entre le jour et la nuit caractérise une création menacée par l'immense fond, muet et chaotique, des ténèbres primitives qui, rebelles à leur limitation par la parole créatrice, cherchent à effacer les réalités distinctes que cette parole fait être. Les ténèbres semblent en effet vouloir se venger en envahissant la nuit au point de la faire ressembler à une détresse insurmontable et à un effroi sans fin ; mais elles usurpent aussi le nom du jour quand, sous prétexte de suprématie lumineuse, elles prétendent chasser la nuit de la terre, avec des conséquences tragiques là encore. L'énigme de cette puissance des ténèbres, dans une création déclarée bonne par son Créateur, tourmente ceux qui ne se laissent pas envoûter par elles mais qui voient bien combien grandes sont leurs menaces. Cependant, pour des spiritualités initiées et orientées par le récit biblique, celles-ci ne condamnent pas fatalement à l'emprise du désespoir : elles mettent plutôt chacun au défi quotidien de faire triompher la parole d'alliance sur le maléfice de la confusion primordiale. Ce combat dure toute la vie, car la part de jour gagnée sur les ténèbres manque toujours de stabilité. Il commence dans l'intériorité de chacun, dans le désir difficile et souvent douloureux de faire émerger, en soi, de soi, mais pas seulement pour soi, des pensées, des mots et des actes qui avivent encore le goût de la lumière.