Le déboulonnage des statues au nom de la lutte contre le racisme déconcerte. La violence avec laquelle la détestation des hommes s'affiche au coeur du combat féministe interroge. Que s'est-il donc passé pour que les engagements émancipateurs d'autrefois, les luttes anticoloniales et féministes notamment, opèrent un tel repli sur soi ?
Le phénomène d'« assignation identitaire » monte en puissance depuis une vingtaine d'années, au point d'impliquer la société tout entière. En témoignent l'évolution de la notion de genre et les métamorphoses de l'idée de race. Dans les deux cas, des instruments de pensée d'une formidable richesse - issus des oeuvres de Sartre, Beauvoir, Lacan, Césaire, Said, Fanon, Foucault, Deleuze ou Derrida - ont été réinterprétés jusqu'à l'outrance afin de conforter les idéaux d'un nouveau conformisme dont on trouve la trace autant chez certains adeptes du transgenrisme queer que du côté des Indigènes de la République et autres mouvements immergés dans la quête d'une politique racisée.
Mais parallèlement, la notion d'identité nationale a fait retour dans le discours des polémistes de l'extrême droite française, habités par la terreur du « grand remplacement » de soi par une altérité diabolisée : le migrant, le musulman, mai 68, etc. Ce discours valorise ce que les identitaires de l'autre bord récusent : l'identité blanche, masculine, virile, colonialiste, occidentale.
Identité contre identité, donc.
Un point commun entre toutes ces dérives : l'essentialisation de la différence et de l'universel. Élisabeth Roudinesco propose, en conclusion, quelques pistes pour échapper à cet enfer.
Des centaines d'ouvrages ont été écrits de par le monde sur le médecin viennois, fondateur de la psychanalyse (1856-1939), et quelques dizaines de biographies lui ont été consacrées. Pourquoi proposer aujourd'hui une nouvelle lecture de sa vie et de son oeuvre ?
D'abord parce que, depuis la dernière en date de ces biographies, celle de Peter Gay (Hachette, 1991), de nouvelles archives ont été ouvertes aux chercheurs (sur ses patients, notamment) et l'essentiel de sa correspondance est désormais accessible. Mais aussi, surtout, parce qu'il restait beaucoup à dire sur l'homme et son oeuvre. Et d'abord ceci : l'invention de la psychanalyse est profondément liée à la critique de la famille traditionnelle, que Freud aura éprouvé dans sa propre enfance, lui, l'aîné des huit enfants d'Amalia et de Jacob Freud, né à Freiberg en Moravie.
Et encore ceci : le fondateur de la psychanalyse est d'abord un Viennois de la Belle-Epoque, sujet de l'Empire austro-hongrois, héritier des Lumières allemandes et juives. Quant à la psychanalyse elle-même, elle est le fruit d'une entreprise collective, d'un cénacle romantique au sein duquel Freud aura donné libre cours à sa fascination pour l'irrationnel, les sciences occultes, la part obscure de nous-mêmes, transformant volontiers ses amis en ennemis, à la fois Faust et Mephisto en quelque sorte. Toujours au nom de la raison et des Lumières.
Que Freud, encore, penseur de la modernité, mais conservateur éclairé en politique, n'aura cessé d'agir en contradiction avec son oeuvre.
Le voici en son temps, dans sa famille, en son cénacle, entouré de ses collections, de ses femmes, de ses enfants, de ses chiens, le voici enfin en proie au pessimisme face à la montée des extrêmes, pris d'hésitations à l'heure de l'exil londonien, où il finira sa vie.
Le voici dans notre temps aussi, nourrissant nos interrogations de ses propres doutes, de ses échecs, de ses passions.
- L'homme continue à faire l'objet des interprétations les plus extravagantes, tantôt idole tantôt démon. Mais le contexte, lui, a changé : l'époque héroïque de la psychanalyse a pris fin, nous vivons l'éclosion des psychothérapies, mille et une façons d'apaiser les souffrances contemporaines en vertu de pratiques toujours plus réglementées par l'Etat. Rappeler, dans ces conditions, ce que fut la geste lacanienne, c'est se souvenir d'abord d'une aventure intellectuelle et littéraire qui tint une place fondatrice dans notre modernité : liberté de paroles et de moeurs, essor de toutes les émancipations (les femmes, les minorités, les homosexuels), l'espoir de changer la vie, l'école, la famille, le désir. Car si Lacan se situa à contre-courant de bien des espérances de l'après-68, il en épousa surtout les paradoxes, au point que ses jeux de langage et de mots résonnent aujourd'hui comme autant d'injonctions à réinstituer la société.Retour sur sa vie, son oeuvre, ce qu'elle fut, ce qu'il en reste, avec pour guide sa meilleure spécialiste.
- Historienne (Université de Paris - Diderot), Elisabeth Roudinesco est l'auteur, au Seuil puis chez Fayard, de plusieurs livres qui ont fait date, notamment Histoire de la psychanalyse en France, 2 vol. (rééd. " Pochothèque ", Hachette, 2009), Jacques Lacan. Esquisse d'une vie, histoire d'un système de pensée (1993, rééd. " Pochothèque ", Hachette, 2009), Dictionnaire de la psychanalyse (en coll. avec Michel Plon, 1997, 2000, et rééd. " Pochothèque ", Hachette, 2011), Pourquoi la psychanalyse (1999), La Famille en désordre (2002) et, avec Jacques Derrida, De quoi demain... Dialogue (2001). Chez Albin Michel, La Part obscure de nous-mêmes (2007) et Retour sur la question juive (2009). En 2010, au Seuil, Mais pourquoi tant de haine ?
Pourquoi consacrer tant de temps à la cure par la parole quand les médicaments, parce qu'ils agissent directement sur les symptômes des maladies nerveuses et mentales, donnent les résultats plus rapides ? Les théoriciens du cerveau machine n'ont-ils pas en outre réduit en cendre les chimériques constructions freudiennes ? Dans ces conditions, la psychanalyse a-t-elle un avenir ?
C'est à ces trois questions qu'Elisabeth Roudinesco répond dans cet essai combatif, informé, résolument critique des prétentions contemporaines à convertir la science en religion et à regarder l'homme comme un automate.
Les médicaments ? Chacun sait que la France fait grande consommation de psychotropes pour soigner l'angoisse, la dépression, la folie, les névroses, et on ne saurait nier leur efficacité. Faut-il pour autant réduire la pensée à un neurone et confondre le désir avec une sécrétion chimique ?
Historienne, directeur de recherches à l'université de Paris-VII, vice-présidente de la Société internationale d'histoire le la psychiatrie et de la psychanalyse, Elisabeth Roudinesco a publié ses derniers livres chez Fayard. Notamment : Jacques Lacan, Esquisse d'une vie, histoire d'un système de pensée (1993), Histoire de la psychanalyse en France, 2 vol. (rééd.1994), Généalogies (1994), et, avec Michel Plon, Dictionnaire de la psychanalyse (1997).
La Guerre des étoiles, Titanic, l'imaginaire des contes et légendes, le spectacle des cruautés humaines, le rêve, le comportement des animaux : Elisabeth Roudinesco mobilise bien des supports "concrets" pour permettre aux adolescents (et à leurs parents...) d'accéder à ce continent sans rivages ni localisation dans l'être humain : l'inconscient.Chemin faisant, et parce que l'intelligence de son jeune interlocuteur est stimulée dans son propre système de référence, on accède sans douleurs à la complexité du psychisme humain, où l'inconscient impose la vérité.Une grande réussite pédagogique.
Que signifie être juif et qu'est-ce qu'un antisémite ? Pourquoi faut-il que, périodiquement, l'énigme attachée à l'identité des fondateurs du premier monothéisme soit l'objet de telles passions ?Pour bien distinguer, d'abord, l'antijudaïsme médiéval (persécuteur) de l'antijudaïsme des Lumières (émancipateur) quand d'aucuns, aujourd'hui, prétendent identifier le second au premier : tous antisémites, affirment-ils, de Voltaire à Hitler. Pour passer ensuite en revue les grandes étapes de la constitution de l'antisémitisme en Europe. Puis, pour assister, entre Vienne et Paris, à la naissance de l'idée sioniste et à sa réception dans les pays arabes et au sein de la diaspora. Une idée, trois légitimités.« Juif universel » contre « Juif de territoire », tel est désormais le couple autour duquel s'organisele débat, auquel Freud et Jung apportent une contribution décisive. Le voici bientôt relancé après la création de l'Etat d'Israël (1948) et le procès Eichmann (1961), tandis que gagne souterrainement l'idée que le génocide serait pure invention des Juifs.Et pour finir, ceci : comment expliquer la multiplication, depuis dix ans, des procès intellectuels et littéraires en antisémitisme ?
J?ai choisi de rendre hommage à six philosophes français ? Canguilhem, Sartre, Foucault, Althusser, Deleuze et Derrida ? dont l?oeuvre est connue et commentée dans le monde entier, et qui ont eu pour point commun, à travers leurs divergences, leurs disputes et leurs élans complices, de s?être confrontés, de façon critique, non seulement à la question de l?engagement politique mais à la conception freudienne de l?inconscient. Ils furent tous des stylistes de la langue, passionnés d?art et de littérature. C?est bien parce qu?une telle confrontation est inscrite dans leurs oeuvres et dans leur vie qu?ils peuvent être réunis ici. Ils ont tous refusé, au prix de ce que j?appellerai une traversée de la tourmente, d?être les serviteurs d?une normalisation de l?homme, laquelle, dans sa version la plus expérimentale, n?est qu?une idéologie de la soumission au service de la barbarie. Loin de commémorer leur gloire ancienne ou de m?attacher avec nostalgie à une simple relecture de leurs oeuvres, j?ai tenté de montrer, en faisant travailler la pensée des uns à travers celle des autres, et en privilégiant quelques moments fulgurants de l?histoire de la vie intellectuelle française de la deuxième moitié du XX siècle, que seule l?acceptation critique d?un héritage permet de penser par soi-même et d?inventer une pensée à venir, une pensée pour des temps meilleurs, une pensée de l?insoumission, nécessairement infidèle.
Déconstruite, recomposée, monoparentale, homoparentale artificiellement engendrée, la famille occidentale est aujourd'hui soumise à un grand désordre d'où découleraient, nous explique-t-on, bien des catastrophes : les enfants violeurs et violés, les professeurs malmenés, les banlieues livrées à la délinquance. Notre époque génère ainsi une profonde angoisse : désorientée par la perte d'autorité du père, mutilée par la libéralisation des moeurs, bousculée par la précarité propre à l'économie moderne, la famille nous apparaît de moins en moins capable de transmettre les valeurs qu'elle a longtemps incarnées. Or, jamais en même temps elle n'a été autant revendiquée comme le lieu par excellence de l'épanouissement individuel.Puisque le père n'est plus le père, que les femmes maîtrisent la procréation et que les homosexuels ont la possibilité de se faire une place dans le processus de la filiation, la famille n'est-elle pas finalement condamnée et avec elle la possibilité pour chacun de nous de se construire comme sujet ?C'est à comprendre l'origine de ce désordre, à percer le secret de ces troubles et à imaginer l'avenir qu'est consacré ce livre.Historienne, chargée de conférences à l'Ecole pratique des hautes études (IVe section), Elisabeth Roudinesco a publié ses derniers livres chez Fayard. Notamment : Jacques Lacan. Esquisse d'une vie, histoire d'un système de pensée (1993), Histoire de la psychanalyse en France, 2 vol. (rééd. 1994), Dictionnaire de la psychanalyse (en coll. avec Michel Plon, 1997 et 2000), et, avec Jacques Derrida, De quoi demain...Dialogue (2001).
1885-1939, c'était la proto-histoire de la psychanalyse en France. Si ce second volume remonte en arrière, à 1925, c'est pour rendre d'abord compte de l'accueil fait à la psychanalyse par les écrivains, tant cette rencontre a façonné la phase suivante.Celle où la psychanalyse n'est plus hors les murs dans la culture française, mais y occupe une place cruciale. Cette place, c'est celle de Jacques Lacan. Tout ce qui s'est passé pendant quarante ans _ débats, scissions, avancées théoriques, essais cliniques, réformes institutionnelles _ tourne autour de cette personnalité hors du commun.On sait déjà, par le premier volume, comment Elisabeth Roudinesco réussit à mener de front narration et mise en ordre d'une histoire aux dimensions complexes _ nationales et internationales _, portraits individuels hauts en couleur (quasiment romanesques), objectivité exemplaire et réflexion critique.En même temps, ce sont des questions essentielles pour l'histoire qui sont ici abordées: quels problèmes posent la traversée de l'Occupation par les psychanalystes? Et leurs rapports, peu après, avec le marxisme? Et, plus tard, avec les diffrents structuralismes? Comment, à travers quelles étapes, s'est développé l'enseignement de Lacan? Mais aussi: quelles sont les difficultés avec lesquelles on voit toutes les écoles aux prises les unes après les autres, au plan du fonctionnement institutionnel, et plus particulièrement du problème de la formation?Tout ce qui est raconté ici _ par un témoin tantôt indirect, tantôt direct _ fera date pour des décennies. Et on y voit comment les histoires (pour reprendre le mot d'Hérodote) sont par elles-mêmes des enseignements.Historienne, docteur ès lettres, Elisabeth Roudinesco est directeur de recherche à l'université de Paris-VII, chargée de conférence à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, vice-présidente de la Société internationale d'histoire de la psychiatrie
Née paysanne en 1762 dans l'Ardenne belge, Théroigne est l'une des plus belles figures de la Révolution : demi-mondaine entretenue par un marquis jaloux à la veille de l'ouverture des États-Généraux, elle se construit, à la faveur du combat pour la liberté, une identité nouvelle, ouvre un salon à Paris et fonde une société patriotique. La presse royaliste fait d'elle alors une libertine sadienne, que l'on accuse d'espionnage. En 1792, au sommet de sa gloire, elle réclame la levée de « bataillons d'amazones » pour combattre les monarchies aux frontières. En pleine Terreur, le délire s'empare d'elle : la folie la sauvera de la guillotine. Internée jusqu'à sa mort en 1817, elle deviendra pour la médecine un grand cas de mélancolie, tandis que Baudelaire, Michelet et plus tard Sarah Bernhardt chanteront sa légende.
Cette première grande biographie critique de l'une des pionnières du féminisme, fondée sur des sources inédites, fut l'un des succès des commémorations du Bicentenaire de la Révolution française.
Nouvelle édition, avec une préface et une postface inédites.
Un brûlot est publié, qui dénonce « l'affabulation freudienne ». Sigmund Freud serait un homme cupide, menteur, phallocrate, homophobe, incestueux, pervers, fasciste, persécuteur de son peuple (les Juifs), un pseudo-savant dont il conviendrait de dénoncer enfin les méfaits. Et pourquoi ne pas l'écrire si cela est vrai ? Mais le brûlot est truffé d'erreurs, il véhicule de fort anciennes rumeurs (et de bien méchantes légendes), il n'établit rien. Et « l'affabulation freudienne » apparaît bientôt pour ce qu'elle est : la pure affabulation de l'auteur du brûlot. Voici les pièces du dossier.
Très tôt, ce fils de famille catholique et terrienne imprégné des idéaux de la France bien pensante fut animé d'un grand désir d'ascension sociale et intellectuelle. Très vite, il se sentit supérieur à ses maîtres en psychiatrie. Il l'était en effet, et passa sa vie à critiquer les valeurs anciennes, celles de ses ancêtres vinaigriers, celles des tenants de la légitimité psychanalytique.L'histoire de Jacques Lacan, c'est l'histoire d'une destinée balzacienne: la jeunesse de Louis Lambert, la maturité d'Horace Bianchon, la vieillesse de Balthazar Claës. Mais c'est aussi l'histoire d'une pensée qui, après celle de Freud, voulut arracher l'homme à l'univers de la religion, de l'occulte et du rêve au risque de mettre en scène l'impuissance permanente de la raison, de la lumière et de la vérité à effectuer cet arrachement.Au coeur du livre, des personnages: les maîtres, les amis, les rivaux, les disciples, le cercle de famille. Mais aussi: Koyré, Kojève, Bataille, Heidegger, Sartre, Althusser, Lévi-Strauss, Jakobson. Autour de chacun d'eux se dit la passion de Lacan: maîtriser le temps, rencontrer les grands de ce monde, collectionner les objets, séduire les femmes, mais, aussi et surtout, construire un système de pensée fondé sur la détermination du sujet par le langage.Le siècle s'est d'abord amusé de l'extravagance verbale du rebelle et du jargon de ses héritiers. L'histoire retiendra, avec Elisabeth Roudinesco, que c'est cet homme, précisément, qui a su analyser de la manière la plus fine les transformations de la famille occidentale, le déclin de la fonction paternelle, les contradictions de l'amour, les illusions de la Révolution, la logique de la folie.
Dans ce livre, je raconte mes origines, mon enfance, ma formation intellectuelle, ma rencontre avec les maîtres qui m'ont donné le goût de la recherche: Gilles Deleuze, Michel de Certeau, Louis Althusser, d'autres encore. Au-delà de l'exposé de la méthode qui m'a permis de collecter les archives nécessaires à mes travaux sur le freudisme, j'ai l'impression de témoigner pour une génération: celle qui trouva dans le structuralisme, dans cette alliance particulière de la littérature, de la linguistique, de la philosophie et du marxisme, de quoi alimenter un engagement distinct de celui de Sartre.J'ai prolongé ce travail généalogique par un développement consacré à la genèse du troisième volume de l'histoire de la psychanalyse en France: Jacques Lacan. Esquisse d'une vie, histoire d'un système de pensée. J'y explique l'état de l'historiographie freudienne dans le monde, les difficultés posées par le traitement des archives, la crise des institutions psychanalytiques et le développement d'un courant révisionniste lié en partie à la question américaine de la political correctness, du culte des minorités, de l'anti-universalisme. J'y réponds aussi aux critiques qu'a inspirées cet ouvrage et aux questions toujours plus personnelles qui m'étaient posées dans les débats consacrés à la place de ce maître paradoxal dans la descendance des interprètes de la découverte de l'inconscient.En contrepoint, ce livre propose une chronologie du freudisme depuis le 6 mai 1856, date de la naissance de Sigmund Freud, jusqu'à nos jours. On y trouve, année après année, les événements qui ont marqué l'histoire de la psychanalyse dans le monde, immergés dans l'histoire générale, politique et intellectuelle. Ces annales, qui dépouillent le freudisme de ses légendes et de ses rumeurs, forment la trame à partir de laquelle j'ai rédigé les 2500 pages de mes travaux sur la question.Historienne, docteur ès lettres, Elisabeth Roudinesco est directeur de recherche à l'université de Paris-VII, chargée de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, vice-présidente de la Société internationale d'histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse.
La longue histoire de la détestation de Freud vient d'être réactualisée avec la publication d'un brûlot, Le livre noir de la psychanalyse, qui réunit des historiens anglophones et des thérapeutes comportementalistes.
Les premiers entendent dénoncer les mythes fondateurs d'un mensonge freudien qui n'aurait été que la face cachée d'une conspiration visant à livrer la civilisation occidentale au triple pouvoir d'une sexualité coupable, d'une corruption par l'argent et d'une mystification intellectuelle. Quant aux seconds, ils cherchent à évincer de l'Université et des institutions de soins les représentants d'un Establishment psychanalytique jugé hégémonique afin de remplacer les cures classiques par des techniques de normalisation des conduites humaines.
Comme bien d'autres avant lui, cet ouvrage n'aurait été connu que des spécialistes s'il n'avait pas été présenté sous un jour favorable, en septembre 2005, à la une du plus grand hebdomadaire de la gauche française.
Pour cette Anatomie d'un "livre noir", j'ai réuni, outre mes propres interventions, des textes de Pierre Delion, Roland Gori, Jack Ralite et Jean-Pierre Sueur qui permettent de comprendre pourquoi, à l'aube du XXIème siècle, l'oeuvre freudienne continue de susciter une telle haine.
J'ai choisi pour thème « L'analyse, l'archive », évoquant ainsi en un même mot l'analyse des textes et le processus de la cure psychanalytique. L'analyse, l'archive, et non pas « psychanalyse de l'archive » ou « archive de la psychanalyse ». Le lien entre les trois conférences n'est pas apparent au premier abord ; pourtant, entre « Le pouvoir de l'archive », « Le stade du miroir » et « Le culte de soi et les nouvelles formes de souffrances psychiques », un fil rouge existe. Si, comme on le verra, le pouvoir de l'archive est d'autant plus fort que l'archive est absente, il existe bien un lien entre la première et la deuxième conférence. En effet, la théorie lacanienne du stade du miroir s'est développée depuis 1936 en se fondant sur une conférence dont le contenu a disparu : une conférence introuvable, retirée par son auteur des actes d'un congrès international qui se tenait à Marienbad. Par la suite, ce texte a dû sa place aux traces qu'il a laissées dans l'ensemble du corpus lacanien, c'est-à-dire à des fragments déposés par Lacan çà et là, puis reconstitués par l'historien, par moi en l'occurrence, à partir de témoignages et de notes. Quant à la question du culte de soi, elle a trait à la fois à l'archive et à la psychanalyse et, plus précisément, à l'émergence, durant le dernier quart du XXe siècle, d'une « archive de soi », d'un culte du narcissisme mettant au premier plan, contre et au-delà de la cure psychanalytique, une pratique de l'autoanalyse ou de l'autothérapie, fondée sur une valorisation de l'image de soi. Or, Lacan en avait saisi la dialectique dans sa fameuse conférence de 1936 sur « le stade du miroir ». Voilà donc le fil rouge qui unit ces trois interventions.
La chasse aux charlatans est ouverte.
Depuis que l?Etat a entrepris de contrôler le traitement de la santé psychique en France, les psychiatres, les psychanalystes, les psychologues et les psychothérapeutes s?accusent mutuellement d?être responsables du sentiment d?insécurité qui gagne la cité. Et c?est en vain que la puissance publique cherche à mettre tout le monde d?accord et à rassurer l?opinion en multipliant les procédures d?expertise fondées sur des principes prétendument scientifiques.
Bref, les professionnels sont en émoi et les patients ne savent plus à quel saint se vouer. Quant à l?Etat, courant après le charlatan un gourdin à la main, il peine à différencier médecines parallèles, sectes, psychothérapies et nouvelles thérapies, au risque de passer bientôt pour un fauteur de troubles.
Comment en est-on arrivé là et comment en sortir ? Comment concilier le principe de liberté en vertu duquel nous revendiquons de choisir qui nous soigne, et le principe de sécurité au nom duquel nous exigeons d?être protégés des imposteurs ?
Historienne, chargée de conférences à l'Ecole pratique des hautes études (IVe section), Elisabeth Roudinesco est l'auteur de plusieurs livres qui ont fait date, notamment Jacques Lacan. Esquisse d'une vie, histoire d'un système de pensée (1993), Histoire de la psychanalyse en France, 2 vol. (rééd. 1994), Dictionnaire de la psychanalyse (en coll. avec Michel Plon, 1997 et 2000), Pourquoi la psychanalyse ? (1999), La Famille en désordre (2002) et, avec Jacques Derrida, De quoi demain... Dialogue (2001).
Est réputé pervers, depuis l'apparition du mot au haut Moyen-Age, celui (ou celle) qui jouit du mal et de la destruction (de soi ou de l'autre). Mais si la présence de la perversion dans toutes les sociétés humaines est avérée, chaque époque la considère et la traite à sa façon. L'histoire des pervers est ici racontée à travers ses grandes figures emblématiques, depuis le Moyen-Age (Gilles de Rais) jusqu'à nos jours (le nazisme au XXe siècle, les types complémentaires du pédophile et du terroriste aujourd'hui), en passant par le XVIIIe siècle (Sade) et le XIXe (l'enfant masturbateur, l'homosexuel(le), la femme hystérique). Notre époque, qui croit de moins en moins à l'émancipation par l'exercice de la liberté humaine et pas davantage au fait que chacun d'entre nous recèle sa part obscure, feint de croire que la science (la génétique notamment) nous permettra bientôt d'en finir avec la perversion. Mais qui ne voit qu'en prétendant éradiquer le mal, dans un geste d'abolition définitive, nous prenons le risque de détruire l'idée même d'une possible distinction entre le bien et le mal, qui est au fondement même de la civilisation ? Comme toujours avec Elisabeth Roudinesco, la démonstration est rigoureuse, alerte, argumentée, et s'adresse d'abord au grand public cultivé.
Élisabeth Roudinesco et Michel Plon Dictionnaire de la psychanalyse Riche de plus de six cents entrées, ouvrage de référence pour les professionnels et les étudiants comme pour le grand public, ce volume est le premier dictionnaire international qui traite de la psychanalyse sous tous ses aspects avec une approche à la fois historique, théorique et pratique : concepts, acteurs (théoriciens, praticiens, cas cliniques, intellectuels et artistes liés à son histoire), écoles et courants, maladies, techniques de cure, autres thérapies psychiques, histoire par pays, etc.
De très nombreux renvois, une bibliographie à chaque entrée, une chronologie de l'histoire de la psychanalyse dans le monde depuis ses origines et un index complètent cet impressionnant corpus, qui a été entièrement revu et mis à jour pour cette édition.
Nouvelle édition.