Un trappeur demeuré de Casthill est interné en 1901, après avoir sauvagement tué un homme. Ses visions sont d'une précision et d'une beauté telles qu'il faut bien croire qu'une âme exceptionnelle est prisonnière de ce corps grossier. En 1923, un Américain revient s'installer dans le château de ses ancêtres, aux confins du pays de Galles. Mais l'horreur attachée à ce lieu est toujours vivante, cinquante mille ans après sa première apparition. Qu'il s'enfonce dans les méandres des malédictions ou qu'il renouvelle le récit policier, Lovecraft ne cesse jamais d'être d'abord une sorte de voyant.
Entre le fantastique et la science-fiction, Lovecraft occupe une position unique, si radicalement originale même que son oeuvre demeure sans postérité. Lovecraft est à la fois le fondateur et l'illustrateur d'une inquiétante archéologie de l'Amérique et le chantre d'un XVIII? siècle utopique. La cité sans nom et ses milliers de cercueils où gisent des créatures monstrueuses en habit de fête, l'appartement du docteur Munoz à -3°, la viole luciférienne d'Erich Zahn, la tour délabrée et le parc biseauté du solitaire sans mémoire - c'est toujours l'envers d'un décor ou d'un objet bien réel qui nous est montré, et non pas un paysage, un instrument de rêve. Et c'est précisément à partir de là que naît ce que Lovecraft - le seul expert, en littérature, des paroxysmes - appelle «l'indicible», qui n'est autre que le plus vieux nom, toujours vivant, de la terreur.