Filtrer
Support
Éditeurs
Langues
Seuil
-
Anquetil est mystérieux là où tous les autres sont clairs : aime-t-il vraiment le vélo ? Cherche-t-il à être populaire ? Jusqu'où serait-il disposé à aller pour remporter un autre victoire ? Se sent-il vraiment bien à traîner au fond du peloton ? Pourquoi ignore-t-il le nom de la plupart des coureurs qui roulent auprès de lui ? Qu'en est-il vraiment de cette rivalité avec Poulidor que les médias fabriquent et qui partage la France en deux ?
En revanche, Anquetil est très clair sur ce qui est le secret de beaucoup : il se dope et le dit. Il aborde la course en professionnel et s'en donne tous les moyens. Il respecte ses adversaires, il explique même que Raymond Poulidor est capable de gagner le Tour de France à la seule condition que lui-même ne soit pas au départ, car il est aussi un terrible psychologue qui sait peser les hommes.Dans la vie, il est un seigneur. Modeste d'origine, simple tourneur de formation, il a des allures et des façons de Prince. L'élégance, la distance, la finesse, le charme sélectif, constituent son ordinaire. Dès qu'il en a les moyens, il se donne une vie de château. Il la partage avec la belle et mystérieuse Janine, ex-femme de son meilleur ami, mère de deux enfants, devenue Madame Anquetil dans le confort et le luxe. Encouragera-t-elle la liaison de son mari avec sa fille dont une enfant naîtra? Couvrira-t-elle la liaison de Jacques avec la femme de son fils?
-
à mouliner, prêt à gicler, à coincer, à bâcher, à sucer les roues, à pointer le nez à la fenêtre, prêt à avaler des bornes et des bornes pour entrer dans le clan édénique des moelleux...
Enfourcher un vélo, c'est entrer dans une histoire et une légende que l'on découvrira dans mille et mille numéros de L'Equipe. La divine solitude du cycliste est peuplée d'ombres que le soleil étire sur le grain des routes. Assis sur ma première selle, j'apprenais à sentir le souffle du grand peloton des cyclistes du temps et du monde.
Enfourcher un vélo, ce n'est pas monter sur une machine pour l'oublier, c'est, au contraire, entamer un débat permanent avec elle. Au moment où je coince dans une bosse, je lance un regard inquiet sur le pédalier du salaud qui me double : j'en étais sûr, il est ovale et il a des manivelles de 175 !
Enfourcher un vélo, c'est prendre possession du paysage. D'abord celui de ma roue avant, ensuite celui des jambes de mon père (qui sont les jambes que je connais le mieux au monde), enfin le vaste paysage quand l'équilibre et la forme sont là.
-
Le peloton est la maison mobile des coureurs. Une maison colorée et féline qui s'étire, qui se rassemble, qui se faufile, qui dessine la route et la course. Il y a autant de façon d'habiter cette maison que de coureurs. Certains s'y reposent, d'autres s'y cachent, certains y font le ménage, d'autres vont mettre le nez à la fenêtre. Les plus hardis et les plus éprouvés s'en échappent. Mais tous, toujours, s'y rassemblent chaque petit matin.
-
De novembre 2000 à juin 2003, j'ai vécu au Caire. Cinq fois par semaine, chaque petit matin et sans jamais faillir pendant plus de cinq cents jours, j'ai donné des nouvelles à quatre-vingt-dix-huit amis. Je me levais tôt. J'écrivais à la main. Je tapais sur mon écran.
J'envoyais. Sans me retourner, sans me lire ni me relire. Le reste du jour, je me tenais sur le qui-vive, guettant la chose vue, vécue ou entendue, qui serait le «poil de cairote» du lendemain.Je ne savais rien de l'Égypte et je m'y trouvais soudain pour travailler.
Je me doutais simplement que c'était un ailleurs fort. De moi, je savais que j'étais une machine occidentale assez finement réglée et que j'enchaînais sur quatre années passées à San Francisco.
On ne pouvait guère rêver changement plus radical, ni surtout changement plus radicalement inscrit dans l'Histoire en train de se faire. Mon attention ne s'est pas portée sur les grands mouvements historiques, pas davantage sur le passé de l'Égypte, encore moins sur les mystères fumeux qui enrobent la recherche archéologique lorsqu'elle prétend racoler le grand public. Tout cela m'a intéressé, mais ce n'est pas ce dont je voulais entretenir mes amis. Je souhaitais, plus banalement, leur donner un regard quotidien sur Le Caire, dire ce que je voyais avec mes yeux malhabiles et partisans d'occidental, et le faire avec une régularité de métronome qui garantissait une certaine présence des intermittences du coeur, des sautes d'humeur, des semaines creuses et des jours pleins.
Paul Fournel
-
-
Elles rêvent : Jeannette de l'homme riche et beau qui dansera avec elle ; la petite Madeleine de livres interdits, et la dame de la Grande Maison de pâtisseries. Ces villageoises, frivoles ou romantiques, obsédées par la cellulite ou la danse, se nourrissent de potins et vivent de songes. Leur monde est sacré, et ce n'est pas la voisine qui y mettra les pieds...
-
La vie s'écoule paisiblement au « Village Fondamental », les hommes partent à la chasse et les femmes travaillent aux champs, et Chamboula Callipyge, splendide jeune femme, éveille les désirs. Mais ce meilleur des mondes va brusquement se dérégler avec l'apparition, coup sur coup, d'un réfrigérateur, puis d'une télévision. La discorde s'installe, avec de désastreuses conséquences : le village plonge dans la mélancolie, la faim apparaît. On ne se parle plus. Et tout ira de mal en pis. Appelé au secours, un dénommé SAV (« service après-vente ») débarque. Diable blanc plutôt que messie, il ne tarde pas à s'emparer de Chamboula, et veut exploiter les richesses du sol et du sous-sol. Boulot, devenu le premier ouvrier du village, décide de fuir pour aller tenter sa chance en France. Dès lors, le récit prolifère, se ramifie, en une fable jubilatoire et cruelle. Contrats, coups de force, arnaques, projets grandioses, développement chaotique, révolutionnaires, investisseurs, chefs mafieux, rêves de football, destins brisés, le « progrès » avance à toute allure. Et bientôt, Boulot revient au pays.
-
« Il fait beau. Tu me dis que paris danse et que la lumière est pour toi. Les gens de la rue te regarderont passer, tu seras belle. Tu sais que tu tournes dans quinze jours. Tu es une comédienne sans souci. Tu devines que, partout, des caméras te cherchent, partout des auteurs fabriquent des mots pour toi. En leur honneur, tu te choisis une jupe courte et je te surprends au moment où, juste avant de sortir, tu donnes un tour supplémentaire à ta ceinture, pour que la jupe paraisse plus courte encore ».Elle est comédienne. Il l'aime quand elle tourne. Il l'aime quand elle ne tourne pas. Il la regarde : jouer, attendre, répéter, espérer, mentir comme son métier l'exige, fair une bonne ou mauvaise figure. Lui n'a pas d'autre rôle à jouer, pas de ligne à apprendre. Il la regarde pour mieux la garder.
-
Le vélo est une langue. Une langue où tout .se mêle dans l'essoufflement de l'effort. Une langue de cris. Une langue d'alerte et de joie qui perd dans Le silence de la montagne et se retrouve au coin du bois. Une langue du soir, paisible qui raconte et reraconte Ie souvenir des grands, et des petits. exploits. Je la parle couramment depuis. mon enfance et la voici rangée de A à Z. Ce petit dictionnaire fait la part belle aux mots, du peloton: on y flingue, on y bâche, on y gicle, mais aussi aux coureurs que j'admire les Robic, les Anquetilles, Ies Merckx: aux montagnes que je grimpe Izoard, Ie GaIibier. Le Tourmalet: aux batailles héroïques des grands. Tours et aux balades du dimanche dans la vallée de Chevreuse. C'est l'abécédaire d' une passion tranquille pour Ie vélo. cet engin merveilleux qui vous emmène sans bruit plus vite que vous-même, jusqu'au bout de la route. Paul Fournel
-
Foraine.
La fête au complet, ce sont tous les plaisirs au même endroit : manger, tirer au fusil, conduire à gauche, tamponner son prochain, boire des coups à l'oeil, avoir de la chance, pouvoir fourguer les mômes sur un manège avec une poignée de jetons, se rincer l'oeil et tripoter les filles en douce. on compte donc : une baraque de crêpes-gaufres et frites, un tir, des autos tamponneuses, une loterie, un carrousel pour les petits, une baraque à mystères, une chenille.
Et le tout en couleurs, en lumière et en musique. pour se mettre à l'unisson, le village a ressorti ses guirlandes de noël et de quatorze juillet. il est pavoisé de petits drapeaux triangulaires bleus, blancs et rouges qui partent de la mairie et descendent tout au long de la rue principale. les commerçants ont fait des frais de vitrines et les deux bistrots ont ajouté des tables à leur terrasse. l'épicier a sorti son frigo sur le trottoir et le remplit de canettes.
Les retraités se lèvent lentement de leur banc pour rentrer en boudant. ils sont trop raides pour les autos tamponneuses, trop myopes pour le tir, trop barbouillés pour les gaufres, trop avares pour la loterie. tout est en place pour l'entrée en scène de l'héroïne, la jolie foraine, la bien-nommée. belle à ravir et coeur à prendre.
-
On se regarde, on se fait voir.
On brille, on brûle et on s'éteint. Petits triomphes de hasard ou gros succès taillés sur mesure, la gloire connaît ses lendemains. Vedette d'un instant, champion d'un jour, le pêcheur d'esturgeon, la mariée napolitaine, le quarterback et le rocker, le lanceur de couteaux, la trapéziste, l'amoureux transi, la boulangère passent tour à tour dans la lumière et doivent en payer le prix. Après les strass, viennent les bleus, les courbatures.