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La Delirante
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Cet essai s'ouvre sur la distinction traditionnelle entre raison et imagination, et d'emblée définit la poésie comme « l'expression de l'imagination ». Évoquant Dante ou Milton, Homère ou Shakespeare, Shelley réfléchit, tout en images, sur l'essence de la poésie, de l'harmonie, du plaisir et de l'inspiration poétiques, et s'efforce d'intégrer à la poésie toute une vision de la culture et de l'histoire. « La poésie est une épée de foudre toujours dégainée qui consume le fourreau qui voudrait la retenir. » Il n'est pas étonnant que ce chef d'oeuvre de critique et d'autoportrait poétique rappelle par ses affirmations plus d'un fragment de Novalis ou de Schlegel et notamment la plus connue d'entre elles qui clôt l'essai : « Les poètes sont les législateurs non reconnus du monde. » Il disparaît sur son voilier, L'Ariel, au large de Pise en Toscane.
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Douze ans après un bref séjour en Chine, dont il avait rapporté des centaines de haïkaï, l'auteur nous invite à un voyage, jour après jour, dans son voyage, tirant de sa mémoire les essaims, comme d'une ruche, et de son imagination, des mots-abeilles qui bourdonnent avec une vigueur nouvelle dans ces pages, nourries des thés nombreux qui l'empêchent de dormir.
C'est un enchantement de voyager avec lui en prose et en poésie, de passer de l'une à l'autre si naturellement, sur les plus hauts sommets ou sous la neige, parmi les calligraphies et le parfum des temples, dans la discrète compagnie de Li Bai, Du Fu et Wang Wei, ses amis, qui lui répondent « par ellipses, pénombre et vers interrompus ».
Comment ne pas le suivre dans l'avion qui remonte, comme des échelles à saumons, les fuseaux horaires, jusqu'aux poissons rouges, bleus ou transparents, qu'il retrouve chaque soir devant l'aquarium de l'hôtel ; sur les toits volants, ou en pagode, surmontés de da'wen, qu'il rapproche des caractères, tout aussi incurvés, et habités, de l'écriture chinoise ; ou dans ses joutes poétiques avec des poétesses de Shanghai ou ses rencontres, également inopinées, de danseuses du Bolchoï gazouillant Pouchkine dans un bimoteur en détresse, et quelques jours plus tard flânant comme des flamants roses sur la Grande Muraille ?
C'est une visite in fineà une Chine absente, derrière la recherche forcenée de la modernité et du progrès, qui lui indique le chemin du retour, et qu'il nous fait découvrir comme les cigales quand elles font silence ou dans leur lumière intermittente les lucioles.
Poisson de roche.
Se faufile l'avion.
Et ressort des nuages.
Ébouriffé.
Sur la plus haute branche.
Après la tempête.
Dans le torrent.
Des neiges tressées.
Comme du coton.
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La célèbre peinture sur soie, encore de Chine et couleurs, placée en frontispice, montre un couple de corbeaux sous la neige qui tombe. Les becs des deux corbeaux sont couverts de givre; de même L'eau pour rincer ma bouche / Devient pierre / Glaçons. Un croissant de lune est pris au piège dans un champ desséché ; sur la joue du hibou, un rayon de lune. L'humour accentue le dénuement : De mes dernières dents / Je mordille mon pinceau / Dans la nuit ou Je la tire vers ma tête / Ou mes pieds / La vieille couverture ? Comme des bancs de poissons, les haïkaï passent, d'une page à l'autre de ces quatre recueils, dans un désordre maîtrisé par une mise en page dynamique.
Lui parlant.
Il console le faucon.
Sur son poing.
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Koumiko Muraoka est l'héroïne d'un film, Le Mystère Koumiko, tourné en 1964 par Chris Marker à Tokyo, qui avait initialement le projet de filmer les Jeux Olympiques dans cette ville. Son mystère est celui du temps, le temps dans lequel se débattent, comme elle, ces personnages - qu'il s'agisse d'une vieille actrice qui joue son propre rôle et traverse son âge comme dans un miroir, dans Arithmétique horaire, qui donne son titre au livre ; ou de la vision au vitriol, comme une gravure de Hogarth, dans Séquences de Berlin, les arrêts sur image d'une jeune mariée sur sa vie de fossile dans cette ville séparée; ou encore du portrait, digne de La Bruyère, dans Hyppolite, une espèce d'Oblomov qui flotte sans ressort, dans une telle évanescence, ni même vélléité, qu'il en devient littéralement attachant.
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BRILLANTE ETOILE!
Brillante étoile! que ne suis-je comme toi immuable - / Non seul dans la splendeur tout en haut de la nuit,/ Observant, paupières éternelles ouvertes,/ Comme de Nature le patient Ermite sans sommeil,/ Les eaux mouvantes dans leur tâche rituelle/ Purifier les rivages de l'homme sur la terre,/ Ou fixant le nouveau léger masque jeté/ De la neige sur les montagnes et les landes - / Non - mais toujours immuable, toujours inchangé,/ Reposant sur le beau sein mûri de mon amour,/ Sentir toujours son lent soulèvement,/ Toujours en éveil dans un trouble doux,/ Encore son souffle entendre, tendrement repris,/ Et vivre ainsi toujours, - ou défaillir dans la mort.
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Le baladin du monde occidental (2e édition)
John millington Synge
- La Delirante
- 15 Juin 1982
- 9782857450245
C'est le texte remanié de la traduction, parue en 1974, de ce chef d'oeuvre de poésie et d'humour noir du théâtre irlandais, qui fit scandale en 1907 à Dublin et que saluèrent très tôt Yeats, Apollinaire et Breton. Tout le monde connaît l'histoire du Baladin qui se vante d'avoir tué son père, puis manque de le faire pour de bon après le retour inopiné de celui-ci au deuxième acte ; autant le récit du parricide éblouit les femmes, autant sa possibilité réelle leur répugne. Cette pièce d'un humour dévastateur et d'un lyrisme sauvage, dans laquelle chaque réplique est « aussi savoureuse qu'une noix ou qu'une pomme », est d'une vitalité proprement irrésistible.
« Il faut lire la préface de Synge, écrit Martine de Rougemont, pour apprécier la justesse et la nécessité de la version qui paraît aujourd'hui. Le texte de Fouad El-Etr est évidemment passé par le « gueuloir » : il se dit, il se chante, il respire. Fidèle à l'esprit, à la lettre, à la cocasserie de Synge, il réussit le tour de force d'être aussi théâtral que lui. »
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Irascible silence, illustré d'une eau-forte, placée au frontispice de l'ouvrage, de Paolo Vallorz, comprend une quarantaine de poèmes ; c'est le septième recueil de Fouad El-Etr, dont on rappelle Comme une pieuvre que son encre efface, entre autres titres, et Là où finit ton corps, vendus à près de cinq mille exemplaires, et les traductions de Synge, Yeats et Shelley, et, plus récemment, des poèmes de Keats, qui ont servi aux versions sous-titrée et française de Bright Star !, le film consacré par Jane Campioin à ce poète.
Qu'il évoque un paysage familier de Toscane ou la femme aimée, l'apparition de sa mère le jour de son anniversaire, ou la visite que lui fait son ami disparu, le peintre Gérard Barthélémy, et le portrait inachevé qu'il lui laisse de lui en partant, Chef-d'oeuvre inoubliable.
Du peintre qui peignait les regards.
De mon visage l'invisible.
On sent toujours chez Fouad El-Etr la présence palpable, physique presque, de l'invisible autant que du visible, dans la même unique hypostase, des morts que des amants Montant et remontant.
Les échelles du temps.
Ma mère dans mon sommeil.
Comme la bruine avec la brise.
Reprit la route plus légère.
Une même musique sans musique passe dans ces poèmes retenus, quels que soient leurs mètres ou leurs thèmes, la même recherche d'une commune transparence des sens et de la langue. « Il y a chez lui », a pu écrire Angelo Rinaldi, « dans un lyrisme altier et sobre à la fois, quelque chose de Constantin Cavafys », comme lui natif d'Alexandrie.
Quelques poèmes, grands ouverts, accueillants, l'essentiel, presque rien, l'infini d'un corps, la mort effleurée, la vérité des rêves, la couleur du vent Le vent s'effeuille dans les feuilles.
Comme un qui se réveille.
Le vent a perdu son chapeau.
D'étoiles et ses feuilles mortes.
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Lisant et traduisant ensemble, depuis plus de trente ans, des auteurs de haïkaï, Muroaka et El-Etr présentent, dans une mise en page dynamique, cent-soixante-huit poèmes de printemps. Le lavis reproduit en frontispice est un autoportrait de ce poète et peintre, disciple de Bashô, né en 1716 et mort en 1783, qui voyait l'invisible et montrait seulement l'essentiel.
Penchant la tête.
Les glycines répandent.
Le printemps.
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Profondement intéressé par le sens de la culture espagnole, José Bergamín étudie et analyse dans la plus grande partie de son oeuvre, essentiellement poétique d'essayiste et de critique, différents aspects de cette tradition avec la justesse de trait qui caractèrise son style.
Beauténébreux (Beltenebros) est une suite de cinq essais autour du phénomène poétique, dans lesquels il explore le large spectre de la poésie lyrique à partir de sa plus pure essence, la magie, ou enchantement poétique. De manière précise et clairvoyante, il nous parle de la constante possibilité de l'impossible en poésie, et attire notre attention sur cette tierce oreille que Nietzsche évoque dans Zarathoustra, ouverte sur l'abîme insondable, obscur ou lumineux, du merveilleux silence.
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Une peinture sur soie, encre de Chine et couleurs, placée en frontispice, représente un milan sur sa branche, symbole de l'automne, saison des chrysanthèmes, des arbres à laque et des érables. Sur sa branche, un superbe dragon de lierre rouge; l'orchidée du soir cachée dans son parfum; les oies sauvages en ligne; et la foudre comme une épée brisée. Nous voyons le dessin, plus parfait d'être si bref dans l'ellipse et l'absence de perspective qui font surgir l'image : Du bout de leurs arcs / les guerriers en passant / dispersent la rosée. Est-ce un poème ou une peinture sur soie ? Cultures de montagne / Plus haut que la fumée / Un champ de sarrazin ?
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Une encre de Chine rehaussée de couleurs, placée en frontispice, représente une pêche de nuit, sujet de nombreux poèmes. C'est la saison aussi des pivoines, brèves comme les nuits, saisies dans tous leurs états, ou du passage rapide d'une averse sur l'auvent. On entend la fraîcheur de La voix de la cloche / quittant la cloche, et croit voir, devenue invisible, entre les feuilles du chêne, une luciole...
Dans la manche.
De l'habit de chasse.
Une luciole.
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Né en 1867 au Nicaragua il fut, dès quatorze ans, fêté comme le « poète-enfant » incomparable. Il devient, dans le sillage de Bolivar et de Marti, le symbole d'unité spirituelle de l'Amérique latine, mais c'est à Paris que son oeuvre va se construire dans la tension d'une « admiration immense et profonde pour la langue française ». Il y rencontre surtout Verlaine, « Socrate lyrique » d'une époque impossible, dont l'influence contribuera à ce que Darío soit reconnu comme le rénovateur de l'ensemble de la poésie espagnole, salué très tôt par Antonio Machado, Jorge Luis Borges et Octavio Paz. Son portrait est l'oeuvre de Joaquín Vaquero Turcios, peintre espagnol, son petit-neveu.
« Quand un poète comme Darío passe par une littérature, tout en celle-ci change. Peu importe notre jugement personnel, peu importent aversions et préférences, peu importe presque que nous l'ayons lu. Une transformation mystérieuse, insaisissable et subtile a eu lieu sans que nous le sachions. Le langage est autre. » (Jorge Luis Borges)
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Ces lettres, écrites en français, furent adressées à Antoinette de Bonstetten en 1924 et 1926, avec une longue interruption qui correspond à un séjour que Rilke fit alors à Paris. Ils ne se sont encore jamais rencontrés lorsque Rilke, de la Clinique de Val-Mont,, lui écrit de nouveau et l'invite, en voisin, à lui rendre visite. Mademoiselle de Bonstetten lui ayant parlé de cours d'horticulture qu'elle a suivis, il lui demande son aide pour aménager le jardin de Muzot, qui devient le sujet bientôt des visites et des lettres, et le fil conducteur de leur correspondance.
Antoinette de Bonstetten m'a confié ces lettres cinquante ans après les avoir reçues de Rilke ; elle souhaitait les voir publiées à La Délirante dont elle aimait les choix et les livres. Les voici aujourd'hui, avec une des premières oeuvres du jeune Balthus placée en frontispice, Paysage de Muzot, peinte à quinze ans depuis la Tour où vivait le poète.
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William Blake et ses illustrations pour la divine comédie
W.B. Yeats
- La Delirante
- 15 Mai 2009
- 9782857450931
Ce livre est paru l'année dernière à l'occasion de la projection, lors du Festival de Cannes, au printemps 2009, de Bright Star !, le dernier film de Jane Campion, la célèbre réalisatrice de La leçon de piano. Bright Star !, qui faisait partie de la Sélection Officielle, est consacré au poète romantique anglais John Keats, atteint de tuberculose, et à sa poésie, et à sa tragique passion pour Fanny Brawne.
Fouad El-Etr, à qui Pierre Rissient, homme de cinéma et de grande culture, découvreur et représentant de Jane Campion en France, avait demandé de traduire les poèmes de John Keats pour les versions doublée et sous-titrée du film, les a réunis avec quelques autres pour en faire, dans la collection qu'il dirige aux éditions La Délirante, un livre en édition bilingue.
Ce recueil comprend, outre quelques splendides sonnets, et notamment Bright Star ! (Brillante étoile !), qui donne son titre au film de Jane Campion, quelques-unes des odes les plus connues et abouties du poète, l' Ode à un rossignol, l'Ode sur une urne Grecque, l'Ode sur la mélancolie, l'Ode à l'automne, qui comptent parmi les plus beaux poèmes de la langue anglaise, ainsi que La Belle Dame sans Merci, une ballade récitée à deux voix dans le film par John Keats et Fanny Brawne.
L'éditeur a fait reproduire en frontispice une très belle aquarelle de Gérard Barthélémy, Paysage de Dordogne, qui rappelle singulièrement la campagne anglaise.
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Ces poèmes, parus dans des revues d'avant-garde en Espagne, entre 1919 et 1922, ont été retrouvés et traduits pour La Délirante par Jean-Pierre Bernés. Qualifiés par Borges lui-même de « cubistes », ils sont tout à la fois imprégnés de futurisme, d'Apollinaire, de la Révolution d'Octobre et de la découverte de l'amour. On est ému de tant de générosité, d'enthousiasme, de candeur et déjà de maîtrise formelle.
Dans le matin léger.
S'étirent des milliers de drapeaux.
La lumière.
Comme un lierre.
Pend aux murs.
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Dans le texte de cette conférence, donnée par l'auteur quelques années avant sa mort, et paru en 1973 dans le numéro 4/5 de la revue La Délirante, Gabriel Bounoure procède à un réexamen général et approfondi de l'oeuvre de Max Jacob. On n'apercevait pas suffisamment, selon lui, la complexité de l'auteur du Cornet à dés, interprété trop souvent en fonction d'un de ses aspects auquel l'histoire, qu'il évoque, achevée en légende, du Bateau-Lavoir, semblait donner un certain crédit.
Confrontant son expérience spirituelle, sans les opposer vraiment, à celle d'un Pierre Reverdy, qui voulait « introduire dans l'art les méthodes sévères de l'examen de conscience », Gabriel Bounoure laisse apparaître, derrière les masques dans lesquels il se dérobe et se révèle, « parce qu'aucune réalité de ce monde ne mérite d'être prise au sérieux », sinon « la bouffonnerie en tant qu'elle souligne la fausseté de notre monde faux », l'ardente sincérité de Max Jacob dans son désir de communion avec l'absolu.
Les deux portraits de Max Jacob par Picasso, pris sur le vif ou arraché à mémoire montrent, dans l'intervalle d'une quarantaine d'années, l'étonnante complexité et profondeur de ce visage.
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Pour ce poète hongrois né en 1877, mort en 1919, l'excès fut la seule mesure. Sa rencontre avec Léda, femme de sa vie et de ses plus beaux poèmes, scelle son destin. C'est une juive hongroise mariée à un homme d'affaires installé à Paris, une belle, forte femme qui révèle le poète à lui-même, et l'emmène d'autorité vivre avec elle à Paris une passion syncopée, faite d'adoration et de haine, d'imprécations et de prières, de retrouvailles et de ruptures.
De son exil qui le libère et le rapproche, comme souvent, de son pays, où boisson, drogue et débauche, exaltation et dépression règlent ses jours et ses nuits, il compose avec rage la majeure partie de son oeuvre, faisant subir à sa langue natale les soubresauts et les déchirures de sa vie. Edith Bargès et Fouad El-Etr proposent ici trente-trois de ces poèmes en français.
Edith Bargès et Fouad El-Etr proposent dans ce recueil trente-trois poèmes d'André Ady, qui fut le porte-drapeau, au début du XX° siècle, du renouveau de la poésie et de la pensée sociale en Hongrie. Avec Attila Joseph, c'est le poète le plus important, et le plus connu de ce pays.
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Une belle bohémienne, Sarah Casey, décide un prêtre à l'unir à Michael Byrne, un rétameur avec lequel elle vit, moyennant une pièce d'or et un pot de fer-blanc, mais elle finit par y renoncer devant la grossièreté du prêtre et l'hostilité de la mère de Michael, une vieille pocharde qui a échangé, la veille du mariage, le pot de fer-blanc contre une pinte de bière. Dans cette farce impitoyable comme une gravure de Hogarth, Synge s'en prend, dans un pays profondément catholique, à l'hypocrisie des hommes d'église, et dépeint, dans des scènes cocasses et une langue imagée, le vieux prêtre approché, apprivoisé, abreuvé, confessé, bâillonné, ligoté puis libéré sous caution de n'en rien dire sous les blasphèmes et les rires.
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Octavio Paz poursuit ici là réflexion commencée vingt-cinq ans plus tôt dans L'arc et la lyre sur le langage et la poésie. Quelle est l'origine de la langue chez l'homme ? Par quelle malédiction fut rompue l'unité originelle, provoquant la dispersion babélienne en une multitude de langues et de dialectes par le monde ?
Interroger le langage, c'est nous interroger nous-mêmes, écrit Octavio Paz qui tente de définir, à partir des recherches linguistiques contemporaines et d'expériences poétiques les plus radicales, ce que peut être la traduction, notamment la traduction poétique.
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Alors que Bartley, sur le point d'embarquer avec sa jument et son poney pour les vendre à la foire, fait ses adieux à ses soeurs et à sa mère, celle-ci reçoit les habits d'un noyé qui pourrait être un autre de ses fils. À peine l'a-t-elle identifié, on lui ramène le cadavre de Bartley que le poney a précipité du haut de la falaise. Nous assistons à l'effondrement de la vieille femme, égrenant sur scène, dans une langue d'une beauté antique, la litanie de ceux que la mer a fini de lui prendre jusqu'au dernier, laissant toute la place à la douleur désormais dans sa vie : « Qu'est-ce qu'on peut vouloir de plus ? Personne au monde ne peut vivre toujours, et nous devons tous consentir. » Remaniant son texte de 1975, Fouad El-Etr donne ici une traduction admirable de rythme et de dépouillement de cette pièce en un acte, un classique du genre, dans laquelle Synge atteint le sommet de l'art tragique, chant pur, intime, intemporel, qui touche au silence.
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Voici un nouveau choix de poèmes de W. B. Yeats dont certains étaient encore inédits en français : des poèmes romantiques de ses débuts aux poèmes ésotériques et visionnaires du grand âge, cette anthologie condense en fait tout ce qui est essentiel dans la poésie de Yeats, ce qui en fait le ton unique et irremplaçable, du sentiment dépouillé de la nature occidentale d'Irlande aux complexes constructions mentales d'une culture de retour à ses sources orientales, sans oublier les poèmes d'amour tour à tour triomphants ou désespérés de celui qui y consacra sa vie. Vingt-trois poèmes qui trouvent une autre unité en français cette fois-ci, celle que leur donne Fouad El-Etr, leur traducteur.
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Qui ouvrira ce livre s'étonnera peut-être, en ces temps d'incertitude, de lire des poèmes dont la poésie ne soit pas problématique, nous voilà d'emblée en présence d'un poète qui, s'il ne « craint pas le bonheur », ne craint pas de même la poésie. Et ces poèmes sont autant d'ouvertures immédiates à cette essence de la poésie que tant de « modernes » tentent de cerner si discursivement qu'ils finissent par nous en éloigner.
Les signes de cette présence tiennent autant à la maîtrise d'un rythme qu'à la place dominante de l'amour ; car si le rythme donne son unité formelle au poème, c'est peut-être parce qu'il est le calque du temps de la vie et de l'amour dont ces vers sont à la fois la cristallisation et la célébration.
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Qu'il suffise, pour présenter Intermezzo et sa traduction, de rappeler que ce poème était pour Nerval l'oeuvre la plus originale de Heine et qu'il ne lui trouvait de comparable que le Cantique des Cantiques. « Son origine hébraïque, écrit-il, lui fait retrouver des accents et des touches dignes de Salomon, le premier écrivain qui ait confondu dans le même lyrisme le sentiment de l'amour et le sentiment de Dieu. C'est la souffrance de l'âme aimant le corps d'un esprit lié à un charmant cadavre ; c'est Cupidon ayant pour Psyché une bourgeoise de Paris ou de Cologne. » Heine, émerveillé, reconnaissait que « sans comprendre beaucoup la langue allemande, Gérard de Nerval devinait mieux le sens d'une poésie écrite en allemand que ceux qui avaient fait de cet idiome l'étude de toute leur vie. »
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Dans cette pièce en trois actes au pessimisme désabusé, Synge met en scène un couple d'aveugles qui recouvrent la vue grâce à une eau miraculeuse, découvrant du même coup et leur propre laideur et la méchanceté des hommes et des femmes qui les entourent. Redevenus aveugles, ils refusent d'être les victimes d'un nouveau miracle, préférant le bonheur de cette deuxième cécité qui leur fait retrouver leur monde intérieur, bien meilleur et plus beau d'être seulement imaginé. « Des merveilles, j'en ai trop vues en peu de temps pour une vie d'homme », s'exclame amèrement Martin Doul, qui a gardé « l'oreille pour entendre dans les mots les mensonges. » Dans des répliques et des tirades d'un athéisme au moins blasphématoire pour des oreilles irlandaises, Synge exalte le tempérament de tout un peuple qui préfère le rêve à la réalité sordide, et les poètes visionnaires, et la magie des mots.