Amsterdam
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« Faire » son genre implique parfois de défaire les normes dominantes de l'existence sociale. La politique de la subversion qu'esquisse Judith Butler ouvre moins la perspective d'une abolition du genre que celle d'un monde dans lequel le genre serait « défait », dans lequel les normes du genre joueraient autrement, tout autrement. Que le genre puisse être défait présuppose qu'il est un « faire » susceptible de transformations et non une structure figée et immuable.
Ce livre, retour critique sur les analyses développées par l'auteure dans Trouble dans le genre, s'inscrit dans une démarche indissociablement théorique et pratique : il s'agit, en s'appuyant sur les théories féministe et queer, de faire la genèse de la production du genre et de travailler à défaire l'emprise des formes de normalisation qui rendent certaines vies invivables, ou difficilement vivables, en les excluant du domaine du possible et du pensable. Par cette critique des normes qui gouvernent le genre avec plus ou moins de succès, il s'agit ici dégager les conditions de la perpétuation ou de la production de formes de vie plus vivables, plus désirables et moins soumises à la violence.
Judith Butler s'attache notamment à mettre en évidence les contradictions auxquelles sont confrontés ceux et celles qui s'efforcent de penser et transformer le genre. Sans prétendre toujours dépasser ces contradictions, ce livre semble suggérer la possibilité de les traiter politiquement : « La tâche de tous ces mouvements me paraît être de distinguer entre les normes et les conventions qui permettent aux gens de respirer, désirer, aimer et vivre, et les normes et les conventions qui restreignent ou minent les conditions de la vie elle-même. La critique des normes de genre doit se situer dans le contexte des vies telles qu'elles sont vécues et doit être guidée par la question de savoir ce qui permet de maximiser les chances d'une vie vivable et de minimiser la possibilité d'une vie insupportable ou même d'une mort sociale ou littérale. »
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Pourquoi la classe compte : Capitalisme, genre et conscience de classe
Erik Olin Wright
- Amsterdam
- 19 Janvier 2024
- 9782354802813
Dans cet ouvrage, Erik Olin Wright propose une évaluation minutieuse de la pertinence et des limites de la catégorie de classe pour expliquer le fonctionnement des sociétés. Cette défense de la portée heuristique de l'analyse de classe centrée sur l'exploitation est fondée sur l'étude empirique de la structure sociale de plusieurs pays occidentaux, en particulier les États-Unis, le Canada, la France, la Norvège et la Suède. Elle passe par l'exploration de trois problèmes interconnectés : les caractéristiques et les variations de la structure de classe elle-même ; la relation entre classe et genre en tant qu'aspects de la structure sociale ; le lien entre structure de classe et conscience de classe, c'est-à-dire la compréhension que les individus ont de leurs intérêts de classe.
Loin des affirmations grandioses du matérialisme historique orthodoxe (par exemple de l'idée selon laquelle la dynamique du capitalisme pointerait dans la direction d'un avenir socialiste), Wright s'attache à mettre au jour la manière dont la classe influe sur de nombreux aspects de la vie sociale, des réseaux de sociabilité à la mobilité sociale en passant par le travail domestique.
Soulignant les dimensions spécifiques des différentes sociétés capitalistes étudiées, il montre que si la classe n'est pas partout et toujours le facteur explicatif le plus important, elle constitue néanmoins, par-delà sa dimension normative, un facteur structurant de la vie sociale. -
Quels sont les écueils auxquels les militants antiracistes se trouvent confrontés lorsqu'ils mobilisent la notion de « race » ? Et comment peuvent-ils s'en prémunir ? Asad Haider trace dans cet ouvrage une généalogie des politiques de l'identité, dont il met en relief le passage d'une inscription dans la tradition révolutionnaire à l'affirmation d'une position libérale. Revenant sur sa trajectoire personnelle au sein des luttes antiracistes menées aux États-Unis ces deux dernières décennies, il éclaire les multiples controverses suscitées en leur sein par l'héritage du Mouvement des droits civiques. Il montre ainsi que les luttes comme Black Lives Matter ont donné lieu à la confrontation de conceptions antagoniques de l'identité : tandis que l'une, abstraite et consolatrice, en fait le support d'une demande individuelle de reconnaissance qui naturalise les inégalités sociales, l'autre insiste au contraire sur la dimension construite des identités et la fonction de justification des structures sociales qu'elles remplissent.
Il résulte de cette démarche une série de mises au point à la fois historiques et théoriques sur certains des débats les plus vifs qui animent les espaces publics étatsunien et, désormais, français - qu'ils portent sur la perspective « séparatiste » théorisée par les penseurs afropessimistes, sur la rhétorique des identités offensées, ou encore sur les traits constitutifs de la blanchité -
La vie psychique du pouvoir : l'assujettissement en théories
Judith Butler
- Amsterdam
- 15 Avril 2022
- 9782354802479
Dans cet ouvrage, l'initiatrice de la théorie queer montre que le corps est l'instance à partir de laquelle il est possible de penser la constitution d'identités sexuelles qui déjouent les normes de genre ordonnées à l'opposition entre masculin et féminin. Comment une sujet se forme-t-il ? Selon Judith Butler, ce processus de formation est toujours le produit paradoxal d'un assujettissement à la norme. Et ce paradoxe est constitutif de la vie psychique du pouvoir, au sens où, en tant qu'il est éprouvé psychiquement, il explique l'attachement viscéral à soi-même - autrement dit, à sa propre subordination. D'où la nécessité d'analyser avec minutie les mécanismes d'un tel assujettissement et ses résultats contrastés.
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Cet ouvrage, dont la première édition est parue en 1993, s'est rapidement imposé comme une référence incontournable des études postcoloniales. La notion d'Atlantique noir élaborée par Gilroy permet de renouveler en profondeur la manière de penser l'histoire culturelle de la diaspora africaine, résultat de la traite et de l'esclavage. En opposition aux approches nationalistes et portées à l'absolutisme ethnique, et dans un souci d'éviter toute opposition binaire réductrice (entre essentialisme et anti-essentialisme, entre tradition et modernité), Gilroy montre qu'il existe une culture qui n'est ni africaine, ni américaine, ni caribéenne, ni britannique, mais tout cela à la fois. L'espace atlantique transnational constitue donc un lieu de circulation, d'hybridation, de création et de résistance reliant les communautés noires américaines, européennes et caribéennes : une véritable « contreculture de la modernité ».
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Le Triangle fatal est un ouvrage tiré d'un cycle de trois leçons données par Stuart Hall à l'université de Harvard en 1994. Hall y traite de l'identité culturelle, qu'il tient pour la question politique centrale de notre époque, en examinant la construction discursive de trois de ses formes principales : la race, l'ethnicité et la nation. À chaque fois, il reconstruit les opérations discursives effectuées par ces notions, les significations qu'elles induisent, les différences qu'elles produisent et qui leur permettent d'avoir des effets réels.
Par exemple, même si l'on sait que les races, entendues au sens biologique et génétique, n'existent pas, la dimension biologique de la notion de race est inéliminable : c'est la signification investie dans des caractéristiques physiques qui lui permet de fonctionner comme fabrique d'altérité, comme système de différenciations culturelles, sociales et politiques. C'est aussi sa fausse évidence ou naturalité qui lui confère sa permanence et son emprise.
L'ethnicité est une catégorisation qui se veut plus large, et moins stigmatisante, que celle de race - une définition de l'identité davantage axée sur une communauté culturelle, en particulier de langue, de traditions et de coutumes. Selon Hall, dans le contexte de la mondialisation et de l'accélération des migrations mondiales, la résurgence de la problématique ethnique s'explique par le déclin d'hégémonie de l'échelon fondateur de l'identité collective moderne : la nation. L'identité étant ainsi scindée de son lieu concret d'origine, au profit d'un espace mondial plus abstrait, les identités prolifèrent et se mêlent les unes aux autres, de façon désordonnée, voire anarchique.
C'est le paradigme de l'hybridité ou de l'identité diasporique, à propos de quoi Hall explique en conclusion : « La question n'est pas de savoir qui nous sommes, mais qui nous pouvons devenir. » Ce bref livre, qui présente de façon succincte la méthode et certaines des idées centrales de Stuart Hall, constitue le point d'entrée idéal dans une oeuvre dense et complexe, abordant des problématiques qui demeurent d'une brûlante actualité.
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Paradis infernaux ; les villes hallucinées du néo-capitalisme
Davis M/Monk D-B
- Amsterdam
- 16 Octobre 2008
- 9782350960074
Série d'études urbaines saisissantes sur le caire, pékin, johannesburg, dubaï, kaboul, managua, etc.
, paradis infernaux pourrait être l'anti-guide des " mondes de rêve " engendrés par le capitalisme contemporain. de la désormais classique gated community de l'arizona aux camps retranchés de kaboul, en passant par la californie de synthèse importée à hong-kong et ailleurs, ou par la spectacularisation architecturale de pékin à l'ère néolibérale, l'imaginaire qui préside à ces nouvelles formes d'utopie est celui de l'enrichissement sans limites, de l'hyperbole constante, des dépenses somptuaires, de la sécurité physique absolue, de la disparition de l'etat comme de tout espace public, de l'affranchissement intégral des liens sociaux préexistants.
Mais cette débauche réservée aux riches ne donne lieu à aucune expérience réelle ; elle est tout entière branchée sur les objet-fétiches de la fantasmagorie mondiale, harnachée aux mêmes idéaux figés du marché global. l'absence d'horizon qui caractérise notre monde se redouble, dans ces outremondes, d'une violence faite aux pauvres, massés, toujours plus nombreux, derrière les frontières visibles ou invisibles qui chaque jour transforment un peu plus le territoire des riches en autant de citadelles néo-libérales enclavées au coeur de notre modernité.
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Les habits neufs de la politique mondiale ; néoliberalisme et néo-conservatisme
Wendy Brown
- Amsterdam
- 27 Octobre 2007
- 9782350960166
Devant nous, depuis quelques années et même quelques décennies, ce fait politique global sans doute irréversible : la démocratie libérale, comme forme sociale et historique, est en train de mourir. Et elle se meurt sous les coups de deux mouvements a priori antagonistes : le néolibéralisme et le néoconservatisme. Dans ce livre, Wendy Brown montre que le premier fonctionne d'abord comme une rationalité politique, un mode de régulation générale des comportements, et que le second lui est devenu nécessaire. Car si le néolibéralisme est l'ensemble des techniques de contrôle d'autrui et de soi par accroissement plutôt que par diminution de la liberté, la liberté y sera d'autant plus sûrement autolimitée qu'elle se trouvera moralisée, c'est là la fonction du néo-conservatisme. Au-delà d'une telle analyse, Wendy Brown pose la question d'un avenir pour la gauche, qui passe selon elle par un travail de deuil : deuil d'une conception du pouvoir comme souveraineté, deuil d'un horizon de rupture politique défini dans la logique démocratique-libérale, mais aussi deuil d'une radicalité qui prend trop souvent la forme d'un désir de purification morale.
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Des images et des bombes ; politique du spectacle et néolibéralisme militaire
Collectif
- Amsterdam
- 4 Septembre 2008
- 9782350960029
Ecrit par un collectif d'activistes et universitaires californiens après l'entrée en guerre des etats-unis en irak, ce livre propose un puissant décryptage de la conjoncture politique actuelle envisagée à travers le prisme des catégories retravaillées de "capital" et de "spectacle".
Une nouvelle phase d'accumulation primitive, dont la violence n'a rien à envier aux colonisations ou aux guerres de religion, se combine en effet depuis le 11 septembre 2001 à un contrôle des apparences de plus en plus sophistiqué par îles appareils d'etat. lorsque, dans les années 1990, le "consensus de washington" a volé en éclats sous la pression de mouvements de luttes renaissants, le néolibéralisme est passé en mode militaire et les grandes puissances ont dû prendre l'habitude de contenir les passions démocratiques par le biais d'une politique spectaculaire renouvelée.
Du point de vue de l'hégémonie, c'est la guerre qui est la norme et la paix une pathologie. c'est aussi dans ce cadre, à la fois belliciste et surexposé, qu'il faut réinterpréter les pratiques et les mises en scène de l'islam révolutionnaire. l'ambition de ce livre est enfin de dessiner des repères pour les luttes des décennies qui viennent. une critique non réactionnaire, non nostalgique, non apocalyptique de la modernité, et un scepticisme radical envers tout avant-gardisme historique, qu'il vienne des démocraties comme des révoltés de toutes sortes: telles sont les tâches théoriques et politiques présentes face à la désorientation stratégique d'états qui produisent des citoyennetés faibles tout en dépendant plus que jamais d'une opinion surmobilisée.
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Petit manuel de torture à l'usage des femmes-soldats
Coco Fusco
- Amsterdam
- 5 Novembre 2008
- 9782350960128
Un musulman détenu à Abou Ghraïb ou à Guantanamo. Une femme-soldat mettant son zèle militaire et sa féminité au service de la Guerre contre le Terrorisme. Des manuels de l'armée sur la coercition du prisonnier, et des consignes implicites sur les " tactiques sexuelles " qu'ont peut employer. Tels sont les éléments de l'interrogatoire en tant que dispositif politique. Après ceux qui firent scandale en 2004, où des violences sexuelles furent exercées par des femmes, l'artiste Coco Fusco a suivi une formation militaire à l'interrogatoire, dépouillé les archives de l'armée et du FBI et navigué dans le vertige de forums et d'images consacrés à ces actes de torture sexuelle. Ce qu'elle en ressort va au-delà d'une étude de cas, nous confrontant non seulement à " l'état d'exception " américain et au rapport des femmes au pouvoir, mais aussi à l'énigme de la domination : Peut-on encore se dire " extérieur " à la guerre ? Les images du conflit servent-elles à le justifier, le documenter, en faire le réservoir de nos fantasmes ? Comment penser l'absence d'images ? Quels rapports, enfin, entre la construction du genre féminin et le fait de la violence, entre les clichés culturels et l'asservissement, et entre société de consommation et extermination ? Cheminant de Susan Sontag à Virginia Woolf, Coco Fusco réenvisage la question de la guerre en deçà et au-delà de la différence sexuelle.